vendredi 23 juillet 2010

Platon et le combat centriste


Le centrisme est la politique dépolluée de l'idéologie.

Mais pourquoi vouloir se débarasser de l'idéologie ? Qu’est-ce qui est néfaste dans les idéologies politiques ?

L’idéologie est pourtant à priori une abstraction agréable, idéalisatrice, et facilitant la lecture du monde. L’idéologie est dotée des atours de la séduction.

Mais la lecture idéologique du monde remplace la lecture directe de la réalité. C’est pourquoi l'idéologie ment, par nature, à propos du réel.

Constatons aussi que l'idéologie est le terreau sur lequel a poussé la propagande, qui n'est jamais que le mensonge institutionnalisé. L'idéologie est un mensonge produisant des mensonges pour protéger les mensonges précédents.

De plus, le mensonge, quel qu'il soit, a deux caractéristiques éternelles :

- le mensonge épargne des efforts au menteur.
- le mensonge est provisoire.

Le mensonge socialiste des XIX° et XX° siècles s'est maintenu tant qu'il a profité aux menteurs, puis s'est brisé lorsque la réalité a pris le dessus à la faveur de la transformation conduite en douceur par Michaël Gorbatchev. L’idéologie libérale quant à elle se justifiait par son opposition à l’idéologie socialiste. Le libéralisme a perdu son meilleur ennemi. La déroute de l’un entraîne la déroute de l’autre. De toutes parts, le mensonge est éventé.

Toutefois, le mensonge idéologique n'a pas disparu. Bien au contraire.

Non seulement il reste des traces des idéologies anciennes, mais une autre idéologie s'est ajoutée aux restes du socialisme et du libéralisme, c'est l'idéologie de l'argent, ou pour être plus descriptif encore, l'idolâtrie de l'argent. Ce serait d'ailleurs une erreur de croire que le libéralisme est l'idéologie de l'argent. Le libéralisme, dans sa version économique contemporaine, postule que l'initiative individuelle est plus efficiente que l'intervention publique, l'argent n'étant qu'un outil au service de ce mécanisme.

Et, pire encore, un consensus se bâtit sur cette idolâtrie de l'argent. Ce consensus rend plus difficile encore le combat contre cette idolâtrie. Cette idôlatrie ressurgit du fonds des âges. Rappelons que l'idôlatrie de l'argent avait déjà causé la colère de Moïse, brisant le Veau d’Or !

Mais qu'est-ce que cette idolâtrie de l'argent ? Quel est le principal mensonge qu'elle véhicule ?

L'idolâtrie de l'argent est simple et puissante. L'idolâtrie de l'argent véhicule l'idée selon laquelle l'essentiel se mesure désormais avec de l'argent.

La charité se mesure en niveau d'allocations sociales. L'espérance se mesure en espérance d'un confort matériel. La force se mesure en fortune accumulée. La justice sociale se mesure en répartition des revenus. Pour chaque vertu, l'idolâtrie de l'argent dégrade le qualitatif en quantitatif.

Les vertus sont écrasées, délaissées, méprisées, et c'est la valeur monétaire qui est portée au pinacle.

Les quatre vertus cardinales de justice, de prudence, de force, de tempérance, décrites par Platon comme étant les conditions d'exercice du pouvoir temporel sont foulées au pied, en particulier dans le monde politique :

1- La vertu de justice est écrasée au profit du favoritisme et du clientélisme électoral.

2- La vertu de prudence est écrasée au profit de l'action de court terme, basée sur l'actualité des semaines ou des jours précédents.

3- La vertu de force est écrasée au profit de la fourberie et de la victimisation des agresseurs.

4- La vertu de tempérance est écrasée au profit du bling bling et de la dépravation des moeurs.

Le centrisme combat ces dérives. A l'inverse de ces dérives, la profondeur philosophique du centrisme réside dans l'accomplissement des vertus de  l'Homme, véhiculant le précepte du temple de Delphes : Connais toi toi-même. Connais-toi et cultive tes vertus.

Le combat du centrisme est celui de la démocratie des origines, brisant les idolâtries, et cultivant les vertus.

9 commentaires:

BLOmiG a dit…

ce que tu appelles centrisme n'est qu'une manière de dire "libéralisme".

Au passage, ce qu'il faut combattre c'est le mensonge idéologique, comme tu le dis bien, et pas l'idéologie. Toute pensée repose sur des positions idéologiques, plus ou moins cohérentes, plus ou moins conscientes. On ne pense pas sans idéologie. Ce qu'il faut c'est gagner en conscience pour n'en jamais devenir esclave.

dsl a dit…

Lecture directe de la réalité ?
C'est quoi ça ?

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ dsl

Vous demandez ce qu'est une "Lecture directe de la réalité".

C'est une lecture sans préalable.

Pour développer ce sujet, j'ai quatre pistes au choix à vous proposer, qui conduisent au même point d'arrivée :

1- Platon distingue dans l'esprit humain la noesis et la dianoïa, soit l'intuitition et la déduction. L'idéologie exploite la dianoïa, mais son erreur profonde est de n'exploiter que la dianoïa. C'est comme si pour une image en noir et blanc vous ne disposiez que du blanc.


2- Au XIX° siècle, on parlait de l'intelligence du Monde, au sens de la compréhension du Monde. La lecture directe de la réalité, c'est l'intelligence du Monde.


3- René Guénon parle à ce sujet d'"intellectualité véritable". Si vous connnaissez cet auteur, je vous invite à vous y référer. Si vous ne le connaissez pas, je vous invite à vous y plonger.

4- Les pratiques méditatives, occidentales comme orientales, consistent à stopper le mental pour voir la réalité avec tous ses sens, avec tout son être, et non plus seulement par son intelligence déductive.

Choisissez, faites votre marché...;-)

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ Lomig.

Vous écrivez que toute pensée repose sur des positions idéologiques. Je comprends votre approche, mais elle fait fi du fait que l'idéologie est une invention postérieure à la pensée.

Illustrons :

"Je pense que pour améliorer les rendements agricoles, il faut pratiquer l'assolement triennal."

Cette pensée peut se passer du miroir déformant de l'idéologie.


De plus, vous parlez de "gagner en conscience" pour éviter d'être esclave de l'idéologie. Je suis heureux de votre remarque. J'en déduis que par nature l'idéologie est productrice d'esclavage mental. Je vous rejoins en totalité.

***

Par ailleurs, l'un des dix commandements est "tu ne feras pas d'idoles". Nonobstant l'adhésion ou le rejet que suscitent les religions du Livre, ne il peut être intéressant d'explorer le sens de ce précepte...

dsl a dit…

Je doute que les 4 points se rejoignent, mais le thème mériterait probablement un peu plus qu'un simple commentaire.
Selon mon intuition personnelle, la réalité du monde intelligible a plusieurs niveaux d'entendement, et probablement aussi qu'il existe une réalité au delà de l'entendement, dont on ne peut rien dire, ni comprendre.
Si bien que je me méfie beaucoup de la prétention d'une possible lecture directe de la réalité ce que signifiait mon commentaire.

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ dsl

Vous écrivez qu'il y a plusieurs niveaux d'entendement, et des niveaux qui dépassent l'entendement.

J'en suis d'accord. Je crois que votre intuition est excellente.

Mais vous en induisez que cela met en cause la lecture directe de la réalité.

Là, en revanche, vous me laissez perplexe.

En quoi la pluralité des niveaux d'entendement interdirait une lecture directe ?

Bien au contraire, une lecture qui est faite par l'intermédiaire d'une image intellectuelle et déductive (l'idéologie) n'est capable d'appréhender qu'une partie de la réalité, et encore l'appréhende-t'elle de manière erronée, car faisant fi de l'intuition, que vous évoquez à juste titre.

C'est au contraire l'élimination du mensonge idéologique qui permet la perception de plusieurs niveaux de réalité, y compris des réalités métaphysiques.

D'ailleurs, le socialisme national allemand et le socialisme soviétique ont détesté la dimension transcendante du Monde car elle est antinomique avec l'idéologie en soi.

Mais puisque les quatre premières voies que je vous présente ne vous ont pas convaincu, et puisque surtout vous n'êtes pas convaincu de l'unicité de ces voies, je vous en propose une cinquième, identique dans ses fins et ses mécanismes aux quatre premières.

Je vous propose d'aborder ce sujet à la lumière de la doctrine hindoue.

En effet, les mêmes vérités sont exprimées dans toutes les doctrines traditionnelles, et c'est d'ailleurs la concordance même de ces doctrines qui est la signature de leur authenticité. La vérité est unique et le mensonge est multiple.

Selon la doctrine hindoue, et selon la médecine ayurvédique qui en est partie intégrante, le corps physique n'est qu'une des manifestations de l'Homme.

En effet, le corps comprend aussi entre autres éléments sept centres d'énergie subtils dénommés les "chakras". Chaque chakra est émetteur et récepteur d'énergie. Le premier chakra, par exemple, le "chakra racine", est situé au niveau du plancher pelvien. Ce premier chakra émet et reçoit les énergies telluriques. Le septième chakra, le "chakras coronnal", est situé au sommet du crâne et correspond à la glande pinéale. Le septième chakra est celui des échanges avec la dimension transcendante, inaccessible à la raison humaine.

L'idéologie correspond à une perception bancale avec la moitié du sixième chakra, le chakra frontal placé au centre du front, là où les femmes hindoues mettent quelquefois un point rouge.



Bien cordialement (avec le chakra du coeur).

dsl a dit…

J'aurais plutôt tendance à identifier l'idéologie comme une forme de mental auto-contemplatif, dont le but inavoué serait l'auto-satisfaction...mais votre interprétation par le 6° centre me semble également valable.
Je pense qu'il faut distinguer la vérité qui est une, de la réalité et sa perception qui sont par nature divisée, l'illusion-maya étant le caractère de toute perception. Ainsi, pour le bouddhisme, la vraie nature de la réalité est la vacuité.
Au delà, de cette vision particulière au bouddhisme, je voulais simplement souligner, au départ, la nature multiple et changeante de la réalité qui rend toute description définitive (toute lecture ?) comme fausse.
Cela étant, j'ai bien compris que votre texte visait avant tout à distinguer une certaine forme de perception, placée au delà du mental et des ses illusions auto-réflexives.

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ dsl

Nous voilà d'accord. Magnifique. Mais on a perdu pas mal de lecteurs en chemin...

Bien cordialement.

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ dsl

...Mais si je puis me permettre, je crois que vous glissez vite de l'hindouisme vers le bouddhisme.

Du point de vue occidental, leur ligne de séparation est celle qui distingue la religion de la philosophie.