jeudi 11 mars 2010

Faut-il de l'argent public pour la Recherche ?



Pour répondre à cette question au niveau français et européen, regardons d'abord du côté du Japon et des Etats-Unis.

Le Japon et les Etats Unis sont caractérisés par des interventions publiques puissantes dans le domaine de la Recherche. Pourtant, ces Etats affichent une politique libérale, ou tout au moins qui apparaît libérale par rapport à la France.

Cette contradiction apparente pose question.

Pourquoi le MITI japonais, le ministère de l'Industrie, a été le fer de lance de la montée en puissance de l'économie niponne ?

Pourquoi les Etats-Unis ont une politique publique puissante d'attraction des meilleurs chercheurs du Monde, moyennant l'injection d'argent dans une myriade d'agences gouvernementales, et une fiscalité d'entreprise très favorable à l'innovation ?

Cet investissement d'argent public est-il contradictoire avec le libéralisme économique affiché par ces deux géants ?

Je crois qu'il y a deux explications pratiques pour répondre à ces interrogations :

1- Le délai de retour sur investissement peut être trop long pour une entreprise.
2- Le retour sur investissement risque de bénéficier aux concurrents.


1- Le délai de retour sur investissement.

A l'exception du secteur pharmaceutique qui a des délais spéciaux dus à la durée des tests médicamentaux, une entreprise raisonne dans un délai maximum de cinq à sept ans dans sa politique d'investissement sur la recherche.

Or une recherche peut donner ses premiers résultats économiques bien au-delà de ces délais, c'est-à-dire bien au-delà de la capacité de projection d'une entreprise.

Et pour l'exprimer autrement, un programme de recherche n'est cessible à une entreprise que si son retour sur investissement est inférieur ou égal à sept ans.


2- Le retour sur investissement risque de bénéficier aux concurrents.

Une entreprise, quelle que soit la protection accordée par les brevets, s'expose au risque de se faire imiter et copier. Elle se fera "benchmarker" par ses concurrents. La menace pour l'équilibre économique d'une entreprise, c'est de mettre son argent dans un investissement qui profitera à son concurrent.

Et pour l'exprimer autrement, la cessiblité d'un programme de recherche est réduite par le risque de copiage des résultats.



Donc sous deux aspects, les programmes de recherche échappent pour partie à une parfaite fluidité du marché puisqu'ils ne sont pas cessibles sur ce marché pour la totalité de leur valeur marchande de long terme.

C’est pourquoi, de façon pragmatique, il y a intervention publique.


Concernant le cas français, d’après une étude qui avait été faite par l’Inspection des Finances pour l’année 2005, ce sont 63,3 Milliards d’€ qui sont versés aux entreprises, soit 4% du PIB, toutes aides confondues. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les fonds sont loin d'être orientés en priorité vers la Recherche. L'étude faite en 2005 par l'Inspection de Finances demeure valable.

L’État assure à lui seul 90% de ces aides qui prennent différentes formes : baisse du coût du travail (24,118 milliards), aide fiscale (8,348 milliards), aide aux investisseurs (6,452 milliards), garanties de prêts, prêts à taux bonifiés, etc... Au total : 57 milliards en 2005.

Ensuite viennent les collectivités locales (Régions, Départements, Communes, Communautés d’agglomérations) qui participent à hauteur de 6 milliards d’euros.
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Enfin, les fonds européens : 335 millions d’euros.

Ces aides représentent un véritable marais bureaucratique puisque le nombre cumulé des dispositifs est évalué à « 6.000 dont 22 aides européennes, 730 aides nationales et, par exemple, 650 aides pour l’ensemble des collectivités locales de la seule région Île-de-France ».

Ce jackpot donne l’avantage aux meilleurs connaisseurs du marais bureaucratique, qui usent leurs compétences et leur énergie à chasser les primes plutôt qu’à créer de la valeur. Et les aides réparties sans considération d'efficience, et sur des seules considérations électoralistes, sont une plaie pour l'économie.

Je propose que l’on interdise aux collectivités locales de donner de l’argent public aux entreprises privées, que l’on supprime l’argent versé par l'Etat au titre de l’aide à la baisse du coût du travail (sauf pour les contrats en cours) et les aides fiscales, et que l’on réoriente la moitié de cet argent vers le financement de partenariats avec la recherche publique. Hormis la réorientation efficiente des fonds publics, cela aura pour vertu supplémentaire de permettre une meilleure distinction entre le pouvoir politique et le pouvoir marchand.

Cette solution a pour impact d'affecter quelque 2% du PIB à la réduction des déficits, et 2% à la Recherche.

Je propose que cette mesure soit prise en coordination avec les autres pays de l’Union Européenne, et que les partenariats soient contractualisés au niveau européen. Au demeurant, la coordination européenne de la Recherche fonctionne déjà. La réaffectation de 2% du PIB à la Recherche est conforme à la stratégie de Lisbonne.

Je cite le rapport du Sénat français du 11 juin 2008 à ce sujet :

« La stratégie de Lisbonne tend donc à ce que les dépenses en matière de R&D et d'innovation « approchent » 3 % du PIB en 2010, comme, en 2000, aux États-Unis (2,7 % du PIB) ou au Japon (3 %). Elle s'est appuyée sur un large consensus parmi les économistes quant à l'impact positif sur la croissance d'une augmentation des dépenses de recherche, et sur le constat d'un retard de l'Union européenne en matière d'effort de recherche et d'innovation technologique. Pour l'instant, elle se solde par un quasi-échec : de 2000 à 2005, la dépense est passée de 1,84 % à 1,87 % du PIB pour l'UE à 15 et de 1,76 % à 1,77 % du PIB pour l'UE à 25... »

Pour le cas français la solution se concrétise comme suit : 1,87% (taux actuel) + 2% (part réaffectée à la recherche) = 3,87% du PIB

La France dispose des marges de manœuvre financières pour placer la Recherche au cœur de la solution politique en matière d'économie, et a même les marges disponibles pour dépasser les Etats-Unis et le Japon sans se faire violence.
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Au surplus, la France a la capacité d'entraîner les partenaires européens dans cette voie vertueuse.

Mais qui aura le courage de supprimer les aides publiques aux entreprises ? Qui aura l'intelligence d'utiliser une part de cet argent pour financer la Recherche au profit de ces mêmes entreprises ? Qui aura la sagesse d'utiliser l'autre part de cet argent pour éloigner le risque de faillite publique et réduire les déficits ?

Le courage plutôt que la forfanterie, l'intelligence plutôt que l'agitation cérébrale, la sagesse plutôt que la tactique électoraliste, ces vertus politiques sont le préalable pour mettre en oeuvre cette solution.

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