dimanche 21 juin 2009

Comment réparer les dégâts de l'urbanisme ?

Résumé :
Les logements construits en France sont insuffisants. La pénurie pèse sur les plus faibles. Dans la pratique, le soi disant "permis de construire" est un droit donné aux autorités publiques de refuser des constructions : 95% du territoire est interdit à la construction. Et sur les terrains constructibles, la hauteur, la surface, et l'emprise sont limités.
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L'urbanisme affiche certes de bonnes intentions, mais le résultat est la pénurie et la création de getthos. On tente de traiter la pénurie artificielle ainsi créée depuis des dizaines d'années non pas par la délivrance de nouveaux permis de construire, mais par l'injection d'argent public sous forme d'incitations fiscales, d'aides au logement, de "plans pour la ville", et de construction de logements sociaux.
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Nous devons sortir de ces gaspillages, rééquilibrer le droit de construire, et redonner à chacun son rôle. Les élus doivent concentrer leur action sur les voiries, les espaces verts, les équipements publics, et sur la protection des immeubles inscrits à l'inventaire des monuments historiques. Le droit de construire des ménages et propriétaires de terrains doit quant à lui être régi par les règles de prospect, qui protègent le voisinage des excès.
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La liste des quartiers chauds a été faite par le ministère de l'intérieur après les émeutes de 2005. J'ai repris les 50 premiers éléments de la liste, qui en comprend 244.

Ce qui m'a frappé en regardant cette liste, c'est que la plupart des lieux ont été bâtis en appliquant un idéal d'urbanisme issu de la Charte d'Athènes, qui a réuni en 1933 les architectes "avant-gardistes" sous la conduite du suisse Charles-Édouard Jeanneret-Gris (qui se faisait appeler « le Corbusier »).

La Charte d'Athènes prétendait qu'une autorité centrale pouvait définir une ville idéale fondée sur de séduisantes idées :

- l'air
- l'espace
- la lumière

Soixante-quinze ans après, constatons que cet orgueil qui consistait à imposer un idéal, s’est heurté au mur de la réalité. Les grands immeubles aérés, espacés, et avec des grandes baies vitrées, ont déstructuré les liens complexes et chaleureux qui se tissent lorsque le bâti est plus varié. L'urbanisme décidé dans ses moindres détails par un pouvoir central, et utilisé comme véhicule d'une idéologie hygiéniste, est un contresens, une négation de la diversité de la nature humaine. Ce qui fait vivre une ville, ce sont ses habitants et non l’idéal d’un quelconque surhomme décidant pour les autres (l’idéal d’un élu qui se croit Elu !).

D'ailleurs, Charles-Édouard Jeanneret-Gris portait en étendard l’idéal suivant : « Là où naît l'ordre, naît le bien-être. » Avec le recul historique, quand on sait que cette idéologie est un produit des années trente, on ressent un frisson d'effroi.
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Le pouvoir politique a voulu imposer un urbanisme total. Ce qui est dommageable, c'est que ce pouvoir politique refuse encore aujourd'hui de lâcher le morceau.

En prenant le recul nécessaire, une question s'impose : pourquoi le politique devrait-il, encore aujourd'hui, détenir tous les pouvoirs en matière d'urbanisme, au point de spolier le propriétaire d'un terrain de sa décision de construire, et de s'arroger le droit de délivrer une autorisation préalable de construire ? N'est-ce pas attentatoire au droit de propriété ? La multiplication des étapes dans l'autorisation de construire n'est-elle pas la porte ouverte à toutes les dérives ?

Avec le recul historique, on peut répondre que le pouvoir politique doit faire l'effort mental de sortir des années trente, pour retrouver de l'humilité, pour redonner au propriétaire de terrain la juste part de décision qui lui revient. Le pouvoir politique doit accepter qu'un autre ait des vues différentes sur le monde et abandonner l'idéal de la "pensée magique".

Aujourd'hui, le système est si déséquilibré que je dois demander une autorisation préalable des autorités municipales pour construire une extension de 20 m2 afin d'y loger ma mère malade. N'est-ce pas au fond le système lui-même qui est malade ?

De plus, ajoutons que du point de vue des principes, le logement s’achète et se vend. Le logement relève du pouvoir marchand, même si le simple énoncé de cette réalité suscite la polémique et peut troubler une habitude de pensée. Le pouvoir politique et le pouvoir marchand doivent être distingués. Et c’est en rétablissant la distinction entre pouvoir marchand et pouvoir politique que l’on fait tomber l’argent roi de son piédestal. Car l’argent est roi s’il est "associé au roi". L'actualité politique nous le démontre chaque jour.

A l'inverse, les voiries et les équipements sportifs et culturels sont d’une cessibilité moindre. Ils ne relèvent pas du pouvoir marchand, et le maintien de l’intervention collective est justifié.

Constatons enfin que la volonté d'imposer un idéal, que la soif de pouvoir, et que la confusion entre le pouvoir marchand et le pouvoir politique ont conduit de facto aux quatres écueils suivants :

1 - Il n’y a pas assez de logements en France, et on peut observer que l’argent public injecté en masse depuis 50 ans a été impuissant à traiter la pénurie ;
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2 - Les logements sont trop chers et seuls les plus riches s’en sortent, et ce sont les plus faibles qui sont les victimes du malthusianisme ;
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3 - Le code de l’urbanisme est une usine à gaz accessible aux seuls spécialistes, et est un handicap technique pour les particuliers qui souhaitent construire pour eux-mêmes ;
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4 - Le régime du permis de construire préalable permet la corruption et les blocages, et freine la création architecturale.
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Si nous sommes d’accord sur ces constats, voilà en résumé ma position, et ses impacts :
A- Quatre règles à supprimer
B- Quatre règles à maintenir
C- Quatre impacts négatifs
D- Quatre impacts positifs



A- Quatre règles à supprimer :

1- Le caractère préalable du permis de construire doit être supprimé, pour éliminer le favoritisme et la corruption.

2- Doivent aussi supprimées toutes formes d’interdiction de construire non justifiées par le respect du patrimoine, des VRD (voirie et réseaux divers), et des espaces verts. Doit aussi être abrogé le Coefficient d'Occupation des Sols qui est une interdiction de construire au-delà d'une limite (article R 123-10 du code de l’urbanisme, et articles y afférant).

Aujourd'hui, 95% de la surface est interdite à la construction ! Je préconise que les règles d’inconstructibilité soient l’exception, définie par le Conseil Régional dans une limite de 20% du territoire. Ces 20% permettent de protéger le littoral, les parc naturels, les paysages d'intérêt touristique, bref, les 20% d'inconstructibilité sont à mes yeux nécessaires pour protéger le patrimoine naturel.

3- Doivent être supprimées les obligations de pourcentage de tel ou tel type de construction. Par exemple, remarquons que l'obligation d’un pourcentage de logement social a accentué les déséquilibres : les communes qui n’appliquent pas la règle des 20% de logement social paient des sanctions, ce qui donne de la visibilité à ce non respect et attire les populations les plus riches vers les communes sanctionnées. Cette mesure est un effet d’annonce politicienne, qui en fait est loin de gêner les communes concernées, et éloigne le regard du vrai problème (remarquons l’unanimité du PS et de l’UMP sur cette règle imbécile !).

4- Doit être supprimée l'obligation de respecter les normes de construction, à l'exception des règles de sécurité et d'isolation.

Je préconise que l’acheteur soit en droit d’acheter un bâtiment hors normes, sous condition que l’on puisse démontrer qu’il en est informé (en matière de caution locative, par exemple, le cautionnaire doit reproduire à la main et signer la description de ce à quoi il s’engage : utilisons ce procédé).


B- Quatre règles à maintenir :

1 - Nous devons maintenir le contrôle de conformité, assorti du droit de rescrit (le constructeur, particulier ou professionnel, doit être protégé contre une interprétation abusive à postériori du CCH,...et des 17 autres codes applicables à la construction). Remarquons que comme le permis préalable est supprimé, il est juste d’assortir le contrôle de conformité de sanctions plus fortes pour...éviter la dérive inverse !

2 - Nous devons maintenir les règles de respect du patrimoine (naturel et bâti), les règles de VRD (avec paiement des surcoûts par le constructeur, qu’il s’agisse du raccordement ou du prolongement, ce qui est le moyen rationnel de limiter le "mitage" et de faire prendre en charge ses effets), et nous devons maintenir l'organisation des espaces verts par la collectivité.

3 - Nous devons maintenir et appliquer les règles de prospect prévues au Code Civil (on ne doit pas construire une hauteur ou exercer une activité qui gêne le voisin, par exemple).

4 - Nous devons maintenir les normes de construction obligatoires en matière de sécurité et d’isolation.


Cette solution politique a des impacts négatifs et positifs :


C- Quatre impacts négatifs.

1- Réduction des effectifs des services de l’urbanisme (recentrés sur les VRD, les espaces verts, et le patrimoine)

2- Baisse des « bénéfices annexes » des intervenants à l’autorisation préalable de construire. Il faut entendre par « bénéfice annexe » les bénéfices d’orgueil, d’argent, de réalisation d’une idéologie, et les bénéfices électoralistes.

3- Baisse du pouvoir des conseils municipaux qui ne peuvent plus interdire de construire au cas par cas.

4- Baisse d’activité et de légitimité des services centraux du ministère du logement, dont le volume réglementaire en vigueur et produit va chuter.

Ce sont ces impacts qui sont la vraie clé du blocage. Le rééquilibrage du droit de construire porterait atteinte au pouvoir et à l'égo de quelques uns.
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D'ailleurs, il est intéressant de constater que ces blocages sont masqués dans un charabia bureaucratique autour des termes de "mixité sociale", de "politique des quartiers", de "circulations douces", de "risque de mitage" ou "d'excès de densification", de "démarche partenariale avec tous les acteurs du territoire", etc... Mais en bout de chaîne, il y a toujours des logements manquants en raison des interdictions de construire, et des logements trop chers en raison de l'insuffisance de l'offre. C'est ce "droit d'interdiction" qui doit être modéré pour rétablir les équilibres.


D- Quatre impacts positifs


1- Rééquilibrage du marché en faveur de l’offre et baisse des prix
Si l'on restitue le droit de construire, tout propriétaire de terrain peut répondre à la demande dans des zones où la tension est forte. L'offre se démultiplie là où c'est nécessaire, ce qui génère une baisse des prix.

2- Economie sur les dépenses publiques

Dépenses publiques pour le logement et les équipements collectifs en % de PIB dans les pays de l'Union Européenne.
Source du graphique : Rapport sur la dépense publique et son évolution, annexé au projet de loi de finances pour 2009.

La comparaison avec les autres pays européens montre que, à l'exception de Chypre, nous avons le record de dépenses publiques en matière de logement.


Or l'argent injecté dans les "politiques de la ville", dans les allocations logement, dans le logement social, dans les aides fiscales, devient inutile quand l'offre de logement est abondante, variée, et que les prix d'achat et de loyer sont redescendus à des niveaux acceptables pour le budget des ménages.

2- Regain de la création architecturale

Les architectes retrouvent leur droit de l'exprimer sans se soumettre au goût d'autorités administratives et municipales, à l'exception des bâtiments publics. La commande privée, retrouvant ses droits d'expression, génère une émulation avec la commande publique.

3- Embellie de la construction

La restitution du droit de construire est le point de départ d'une période transitoire, d'élimination de la pénurie au profit du rééquilibrage entre offre et demande. Cette période transitoire sera une période de haute activité de la construction, dont on affirme à juste raison le rôle moteur pour une économie.

Au delà du problème précis de l'urbanisme et de la résorption de la pénurie, cette période d'euphorie économique doit être mise à profit pour rééquilibrer dans le même mouvement la fiscalité, la protection sociale, le financement de la recherche, l'éducation nationale, et le système financier (cf les articles correspondants du présent blog).

Notons au surplus que l'efficience sera supérieure si ce rétablissement du droit de construire est coordonné à l'échelle européenne, qui est de plus en plus l'échelle véritable de la solution politique.

Voilà le résumé, à traduire en termes législatifs.

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Je prends un instant pour remonter à nouveau aux principes.

D’un point de vue des principes, l’intervention publique optimale est à mes yeux fonction du rapport entre l’utilité et la cessibilité. Un bien qui est utile mais difficile à vendre relève de l’action collective. Un bien qui est peu utile mais facile à vendre relève de l’action privée.

Par exemple :

L’air pur est un bien utile et difficile à vendre, d’où les règles collectives sur la pollution.
Une voiture de luxe est un bien peu utile et facile à vendre, d’où l’action privée pour produire ce bien.

En matière de construction et d’aménagement du territoire :

Un trottoir est un bien utile et difficile à vendre.
Une terrasse donnant sur le Mont Blanc est un bien peu utile et facile à vendre.

Comment le libéralisme et le collectivisme appliquent ce principe ?

Dans ce rapport entre utilité et cessibilité, le libéralisme met l’accent sur la cessibilité, et à l’inverse le collectivisme met l’accent sur l’utilité collective. Ils sont dans le brouillard de leurs idéologies respectives, et adoptent de ce fait des positions déséquilibrées. A mes yeux, le centrisme est dans le paysage politique le lieu de l’équilibre, avec les difficultés que l'on sait.

Lorsque la position d'équilibre sera retrouvée, nous serons dans un nouveau cycle historique, où l'homme s'attachera à son évolution personnelle plus qu'à sa force d'influence sur autrui.

6 commentaires:

Denis a dit…

Bonjour
auriez vous gardé cette liste "244" ou un lien internet?
Je vais googlisez en attendant une éventuelle réponse car je sais que vous n'avez pas que ça à faire ni forcement une base de donné dédiée à ce genre de demande.
Au plaisir de vous lire
Cordialement
Denis

Denis a dit…

googliser c'est vraiment pas beau mais avec un "r" final c'est déjà mieux.
Désolé

philippe psy a dit…

Ah quand Monsieur Bayrou va lire "centrisme" il va faire des bonds !!!

Allez zou un grand coup de langue sur la bite du chef, c'est comme cela qu'on grimpe dans la hiérarchie.

Pour le reste, ton article est excellent.

Anonyme a dit…

Je crois que c'est Pierre Joseph Proudhon qui disait:"L'anarchie c'est l'ordre sans le pouvoir"
Pas sûr que cela soit applicable à l'urbanisme et à l'aménagement du territoire. Il suffit de voyager un peu, l'Espagne, la Grèce, le Maghreb, etc.
Mais l'exercice utopique me plaît bien.

Sylvain JUTTEAU a dit…

@ "anonyme":

Mon propos est de maintenir dans le champ de la décision collective les voiries, les espaces verts, et les équipements publics.

Une ville est belle aussi par son réseau de rues et d'avenues, par son équilibre entre les espaces verts et ses constructions, par la qualité et la force de ses constructions publiques.

Tout cela est bien loin de l'exercice utopique, et de l'idéalisme anarchiste...

...Mais je comprends votre réaction, tant l'urbanisme total est entré dans les cerveaux, malgré ses conséquences.

Anonyme a dit…
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