L'article est présenté sous la forme d'un dialogue
Pouchki : C'est curieux, j'ai l'impression que personne ne trouve de solution de long terme à la crise.
Toju : Oui, c'est vrai, les analystes ont été pris de cours par les évènements.
Pouchki : D'abord, comment l'effondrement a pris ces proportions ? Pourquoi la situation a échappé au contrôle ? C'est bien la preuve que le marché est voué à l'échec. La concentration de plus value entre les mains de quelques uns leur donne une puissance démesurée, qui permet de faire pression à la baisse sur les salaires et de faire gonfler la finance.
Toju : Là, Pouchki, permets-moi de te dire que tu fais une confusion générale. On dirait un marxiste, qui mélange le rapport capital/salaires avec le sujet de la dette et de la monnaie. D'ailleurs, tu es excusable, car des quantités d'économistes libéraux ont plongé dans cette confusion.
Pouchki : Bon, peu importent les écoles économiques et leurs disputes. Je m'en fous. Ce que je veux savoir, c'est pourquoi il y a eu tant de particuliers ruinés par les soi-disant "subprimes" ? Et pourquoi cela met un bordel sans nom ?
Toju : Je crois que le meilleur moyen est d'aller à la source.
Pouchki : A la source de quoi ?
Toju : Patience, je n'ai pas encore commencé l'explication. Elle sera courte.
Pouchki : Bon, vas-y, mais je reste vigilant.
Toju : A la source, les banques centrales prêtent de l'argent aux autres banques, que l'on appelle les banques de second rang. Ces prêts sont consentis moyennant le versement d'un taux d'intérêt.
Pouchki : Oui, c'est le fameux taux directeur.
Toju : Oui, le taux directeur. Et c'est avec cet argent que les banques prêtent aux agents économiques. C'est ça la source. Ensuite, les banques se prêtent entre elles et cela multiplie l'argent disponible.
Pouchki : Bon, je suis d'accord sur cette explication. Mais où est le mal dans tout ça ? Tu ne m'expliques rien des excès et des dérives.
Toju : Tu vas voir. Si le taux est trop élevé, il y a moins d'argent mis en circulation, et l'économie ralentit. Si le taux est trop bas, il y a plus d'argent mis en circulation, l'économie est dopée mais l'inflation augmente.
Pouchki : C'est bien joli tout çà, Toju, mais tu sais comme moi que l'inflation s'est ralentie depuis la deuxième moitié des années 80, malgré des taux directeurs très bas.
Toju : Alors là, Pouchki, tu mets le doigt sur un point névralgique. Les taux ont été maintenus très bas, et les masses d'argent disponibles ont gonflé de façon grotesque, sans aucun rapport avec l'augmentation de la valeur produite. Alors, pourquoi l'inflation n'a pas explosé dans le même temps ? Car en parallèle, le volume des échanges commerciaux mondiaux a explosé, la concurence s'est tendue et a empêché l'augmentation violente des prix.
Pouchki : Tu peux citer des exemples concrets ?
Toju : Oui, facile. En 1980, je pouvais acheter pour ma cuisine un robot mixeur Moulinex, Seb, ou Electrolux, fabriqués en Europe. Aujourd'hui, mon choix est beaucoup plus large et je peux acheter ce produit en provenance de multiples pays à bas coût de main d'oeuvre. A qualité égale, le prix des robots mixeurs a baissé. Autre exemple : pour voyager à Athènes, j'allais en 1980 à l'agence de voyages du quartier qui me proposait des vols Air France. Aujourd'hui, je surfe sur internet pour obtenir des prix dix fois moins élevés.
Pouchki : Là, je suis d'accord, si l'on regarde les produits un à un, il y en a une multitude dont le prix s'est cassé la figure. Mais que deviennent alors ces grosses masses d'argent qui ont été injectées, si elles ne se retrouvent pas dans les prix.
Toju : Elles font des bulles.
Pouchki : Tu te moques de moi ?
Toju : Loin de moi cette idée. Les bulles ce sont les bulles internet, les bulles immobilières, la bulle financière, le bulle des matières premières. L'argent se déplace par masses énormes vers des marchés, qui n'ont plus de rapport avec la valeur réelle. C'est une spéculation stérile.
Pouchki : Comment ça, stérile, il faut bien que le commerce fonctionne ?
Toju : La spéculation devient stérile quand la monnaie ne représente plus la valeur, mais devient une valeur en soi. La monnaie est dépouillée de sa fonction de représentation de la valeur.
Pouchki : Bon, nous avons progressé, mais je ne vois toujours pas le mal. Après tout, si l'on joue à spéculer, c'est un jeu comme un autre. A part le fait que certains perdent leur temps à faire des trucs au fond assez inutiles, à qui cela peut nuire, à part aux aigreurs d'estomac des gauchistes au naturel jaloux ?
Toju : La nuisance, c'est de surendetter des particuliers. Vendre du crédit aux particuliers, c'est une solution rentable pour placer l'argent en trop.
Pouchki : Mais s'ils sont assez bêtes pour se surendetter, ce n'est pas mon problème.
Toju : D'accord, ce n'est pas ton problème si un pigeon se fait plumer. Mais si tous les pigeons sont incapables de rembourser, on se retrouve comme en 1929. Les établissements prêteurs ne retrouvent plus leur mise et font faillite.
Pouchki : C'est pareil qu'en 1929 ?
Toju : Oui, à la source le déclencheur est le même. Une illusion de pouvoir doper l'économie en maintenant des taux bas, qui génère un excès de monnaie, qui est placée sans prudence auprès de particuliers, qui ne peuvent plus rembourser, qui mettent en faillite les prêteurs.
Pouchki : Mais si aujourd'hui on réaugmente les taux, on court à la catastrophe intégrale !!! Les emprunteurs seront encore plus étouffés ! Leurs prêts sont indexés sur des taux variables !
Toju : Oui, hélas, o combien hélas, le piège est redoutable. C'est pourquoi les Etats ont choisi de maintenir les taux bas, de réinjecter des liquidités, et de sauver les banques.
Pouchki : On gonfle la dette publique et l'on se prépare à une augmentation des prélèvements obligatoires. J'en ai marre de payer les impôts. En plus ce sera pire après, puisque l'on continue à favoriser l'excès de monnaie ?
Toju : Pas tout à fait. L'effondrement des marchés boursiers purge de lui-même une grande partie du problème d'excès de monnaie.
Pouchki : Il n'empêche. On se remet le doigt dans l'oeil et l'on prépare la prochaine crise.
Toju : Oui, c’est vrai, c'est idiot. On préserve un système vicié.
Au fond, les spécialistes qui proposent aujourd'hui des solutions ont profité à titre personnel des excès de liquidités, et ont été surpris par les évènements. Leurs solutions sont erronées. Ils ont un point de vue déformé par leur intérêt personnel, et immature puisqu'ils découvrent une situation qui à leur yeux est nouvelle dans toutes ses composantes.
Pouchki : Alors, l'espoir est mort ?
Toju : Mais non, Pouchki, ne vois pas le monde avec noirceur. Il est du devoir de chacun de cultiver l'espérance.
Pouchki : L'espérance, l'espérance, c'est bien gentil mais ce n'est pas une solution pratique. Comment fait-on pour éviter ces dérives ?
Toju : Si nous parlons depuis tout à l'heure, mon cher Pouchki, c'est qu'il y a une solution pratique. Tu sais que j'ai horreur des parlotes inutiles. Tu auras remarqué dans notre discussion qu'il y a quelque chose de très injuste. Les prêteurs s'enrichissent, et si le système se casse la figure, c'est tout le monde qui paye.
Pouchki : Oui, c'est injuste. D'ailleurs les « bien pensants » de gauche ont créé la formule qui fait mouche : "privatisation des profits et nationalisation des pertes".
Toju : Ils ont raison. Ils ont très souvent raison dans leur analyse. Mais comme ils refusent de sortir de leur intellectualisme, ils ont le chic de proposer aussi à chaque fois des solutions inintelligentes. Ils confondent intelligence et intellectualité.
Pouchki : Moi je proposerais alors une privatisation des pertes.
Toju : Oui, c'est une très bonne piste. Mais s'il fallait le faire aujourd'hui, ce serait vraiment trop tard, tout le système se casserait la figure et l'économie serait gelée. Seuls les plus riches s'en sortiraient et ce serait encore plus injuste. C'est donc bien avant qu'il faut privatiser les pertes.
Pouchki : Par exemple, on peut faire payer les banques qui font prendre un risque au système.
Toju : Là, je te rejoins tout à fait. Les banques qui font courir un risque doivent payer plus. Pour rétablir la justice du système, chaque banque doit payer le risque, et non le faire payer aux autres.
Pouchki : Oui, ce serait juste. Chacun doit payer le risque qu'il fait prendre aux autres. Comment mesurer ce risque de façon indiscutable ?
Toju : Les instruments de mesure du risque pris par une banque sont déjà existants, je crois qu'il faut utiliser ce qui existe déjà.
Pouchki : Tu sais Toju, j'ai compris où tu veux en venir. Le risque bancaire, c'est le même que pour un particulier. Si un particulier a une richesse de 10.000.000 d'euros, il prend peu de risques s'il prête 1000 euros. Mais si sa richesse est de 1.000 euros, il prend un gros risque s'il prête la même somme de 1.000 euros.
Toju : Tout à fait. C'est là une mesure juste du risque bancaire. Si l'on traduit en termes techniques, on dira que le risque est proportionnel au rapport entre les engagements et les fonds propres.
Pouchki : Alors, on a maintenant la clé pour faire payer le risque.
Toju : Oui, Pouchki, on est arrivés au but. Lorsque la banque centrale prête de l'argent à une banque de second rang, elle doit faire payer en même temps le risque. Plus le rapport entre engagements et fonds propres est important, plus le risque est élevé, donc plus le taux doit être important. Le ratio engagement sur fonds propres existe et a été rénové : il porte le nom de "ratio Mac Donough". Ce taux directeur proportionnel permettra au rapport entre masse monétaire et PIB d'être défini comme point d'ancrage du sytème financier. Par exemple, on peut placer M3 à 2 tiers du PIB, ce qui était le point moyen avant la dérive des années 2000 ( 2 x M3 = 3 x PIB ).
Pouchki : Mais alors, toutes les banques vont avoir le même comportement et restreindre leurs crédits au maximum.
Toju : Non, les banques cherchent à dégager des bénéfices et trouveront un point d'équilibre. Pour dégager des bénéfices, elles doivent prêter.
Pouchki : Et si une banque fait faillite ?
Toju : La majoration du taux directeur permet à la banque centrale d'engranger des bénéfices dans un fonds de garantie des dépôts. D'ailleurs, ce fonds de garantie existe déjà. Le volume de ce fonds de garantie doit être à hauteur du risque. Les déposants sont remboursés par le fonds.
Mais la banque qui fait faillite, on en fait quoi ?
Toju : On la fait disparaître ou on la revend. Le paysage bancaire évolue au profit des meilleures banques, et les apprentis sorciers sont sanctionnés.
Pouchki : Mais il y a quelque chose qui me tracasse encore. Ce sont les pots de yaourt.
Toju : Comment ça, les pots de yaourt, tu deviens dingue ?
Pouchki : Non, non, calme-toi, je ne deviens pas dingue. Aujourd'hui, quand on vend un pot de yaourt, ou tout autre produit alimentaire conditionné, on doit en mentionner la composition. Pour un produit financier en revanche on ignore le risque global représenté par le ratio encours sur fonds propre. L'acheteur est dans le brouillard. D'où l'affaire Madof par exemple.
Toju : Oui, je reconnais que tu as raison. Comme l'acheteur est aveugle, toutes les dérives sont permises. Il y a de multiples règles, mais la règle la plus simple qui consiste à savoir ce qu'on achète est oubliée. Donc nous devons imposer l'information de l'acquéreur sur ce ratio, quite à supprimer d'autres règles d'obligation d'information qui sont de la poudre de perlin pinpin.
Pouchki : Mais ce n'est pas tout. L'information de l'acquéreur est insuffisante à rétablir les équilibres du système.
Toju : Tu n'as donc pas confiance dans la sagesse des acquéreurs de produits financiers ?
Pouchki : Si, si, j'ai confiance. J'ai surtout confiance dans le fait que l'acquéreur veille à ses propres intérêts financiers...! Et si l'acquéreur est bien informé, il aura plus de discernement. Le problème n'est pas là. Le problème est que la collectivité publique continue de financer la spéculation stérile.
Toju : Oh là là ! Dans quelle direction es-tu encore parti ?
Pouchki : La valeur de l'argent est garantie par les banques centrales. Nous avons dit que les banques de second rang devaient payer leur argent en fonction du rapport entre engagements et fonds propres.
Toju : Oui, certes, nous nous sommes entendus sur ce point.
Pouchki : Mais l'argent est aussi garanti dans sa circulation par les banques centrales. Et le coût de cette garantie est supporté par le système, non par les acteurs du marché.
Toju : Oui, c'est vrai, vu sous cet angle, on peut affirmer que la circulation monétaire est subventionnée par la collectivité.
Pouchki : C'est la raison pour laquelle on a pu constater une circulation accélérée, sans frein, qui au bout du compte en cas de dérappage coûte des sommes énormes au contribuable.
Toju : Il aura fallu une sacrée claque pour que l'on s'en apperçoive !
Pouchki : Et encore, je ne suis même pas sûr de la prise de conscience...Il faudra peut-être une deuxième crise !
Toju : Au fond, c'est de la taxe Tobin dont tu parles.
Pouchki : Oui, c'est le principe de la Taxe Tobin. Mais la taxe Tobin n'a pas été présentée comme le paiement du coût de la circulation financière. Dommage !
A la lumière de nos échanges, nous avons une organisation basée sur trois principes.
- Les banques paient leur argent en proportion du risque qu'elles font prendre au système financier
- Les acheteurs de produits financiers sont informés du risque qu'ils courent. Ils sont informés du ratio engagement sur fonds propres du vendeur
- Le coût de circulation de la monnaie est payé par l'acquéreur de produits financiers
Toju : Oui, une organisation plus saine sera mise en place. C'est inexorable. Soit maintenant, soit à l'occasion d'une prochaine crise. L'avenir nous le dira. Il suffit d'un dirigeant plus lucide que les autres pour que la solution se réalise.
Dérive de la masse monétaire M3 dans les années 2000. Cliquer sur le graphique pour l'agrandir :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire