lundi 30 novembre 2009

Faut-il un revenu minimum en remplacement du salaire minimum ?


(graphique : Sylvain Jutteau)



Résumé : Il vaut mieux sécuriser le revenu minimum qu'imposer un salaire minimum. En effet, le salaire minimum favorise ceux qui sont dans une situation de travail, mais évince les plus faibles du marché du travail. Le salaire minimum crée des exclus; le revenu minimum est une garantie pour tous.

Mais attention ! Le revenu minimum unifié, risque de favoriser l'oisiveté si la reprise d'un travail génère une baisse de revenu par suppression de ces revenus redistributifs. Cette oisiveté avantageuse est un piège.

La solution consiste à verser le revenu minimum à tous, et à instituer un impôt sur le revenu proportionnel, au lieu de l'impôt progressif par tranches :
- Si le montant de l'impôt proportionnel est inférieur au revenu minimum, la différence est versée au contribuable. Si le montant de l'impôt est supérieur au revenu minimum, l'impôt est recouvré.
Ce revenu minimum adoucit l'effet de l'impôt proportionnel, élimine l'effet confiscatoire des tranches progressives, et évite les trappes à pauvreté.
Le revenu minimum permet de redonner à chacun son droit de choisir son assurance santé, le droit de choisir ses études par le chèque éducation, le droit de choisir son système de retraite. Le revenu minimum doit être la source d'un assainissement de l'organisation collective.
L'article est présenté sous la forme d'un dialogue


Pouchki : Dis-moi Toju, si le travail est bien réparti, si l’économie respire bien, alors tous les actifs ont du travail, ça ne sert à rien le revenu minimum.

Toju : Tu oublies une chose Pouchki, c’est qu’il y a du chômage de transition.

Pouchki : Oui bien sûr ; ce que tu appelles le chômage de transition, c’est la période non travaillée entre deux emplois. En fait, c’est le temps nécessaire pour retrouver du travail.
Ce temps sera très bref si le travail est bien réparti ; et il suffit que l’on constitue une réserve personnelle ou que l’on souscrive une assurance.

Toju : Ce n’est pas très rassurant ton idée. Il vaut mieux une assurance obligatoire pour tous.

Pouchki : Oui, l’obligation d’assurance peut être le principe de base. Mais si l’on démontre que l’on a par exemple un an de salaire d’avance sur un compte bloqué, on peut accorder un droit de dispense d’assurance.

Toju : Pouchki, je te trouve bien en forme aujourd’hui. Ton projet de rendre obligatoire l’assurance chômage mais de donner le droit d’échapper sous condition à l’obligation me semble très respectueuse du droit de décider.

Pouchki : Oui, je crois que les libertés doivent être canalisées mais non écrasées. Chacun doit pouvoir choisir.
L’assuré peut sanctionner l’assureur en devenant son propre assureur.
L’assureur a un concurrent direct, c’est la non assurance.

Toju : Bon, je suis d’accord avec toi, mais je maintiens que le revenu minimum est nécessaire.

Pouchki : Tu t’obstines Toju ! Avec un travail bien réparti et des périodes de transition assurées, le revenu minimum est inutile.

Toju : Je pense que tu fais erreur. Dans toute organisation humaine de grande taille, il y aura toujours une part qui sera évincée du système. Par exemple, lorsqu’il y a un salaire minimum imposé aux employeurs, ce salaire minimum peut constituer un seuil infranchissable pour accéder à un emploi. C’est le cas lorsque la valeur ajoutée produite est inférieure au coût du salaire minimum. Le salaire minimum est une puissante source d'exclusion.

Pouchki : Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est tout le contraire ! Le salaire minimum sert à protéger les plus faibles. Le salaire minimum permet justement d’éviter que l’on fasse travailler quelqu’un avec un revenu de subsistance.

Toju : Qu’est-ce que tu entends par « revenu de subsistance » ?

Pouchki : Un « revenu de subsistance » c’est le revenu qui permet au salarié de tout juste se nourrir et se loger, dans des conditions minima de survie pour maintenir sa force de travail.

Toju : Tu veux dire que s’il y a une main d’œuvre abondante, on peut la payer au minimum vital?

Pouchki : Oui, c’est tout à fait ça. C’est ce que Karl Marx a désigné sous le nom de « lumpenprolétariat », le prolétariat en haillons. Des habits de qualité sont inutiles à la survie.

Toju : Tiens, te revoilà avec tes vieilles théories du XIXème siècle ! Tu sais bien que ça nous a menés droit dans le mur ! Le socialisme soviétique et le socialisme national allemand ont généré les pires massacres de l’histoire de l’humanité !

Pouchki : Tu mélanges tout Toju ! Regarde les choses en face. Au fond, je m'en fiche pas mal de Karl Marx, mais tu vois bien que dans les pays où il n’y a pas de salaire minimum, il y a un « lumpenprolétariat » qui se développe.

Toju : D’accord, mais à condition de compléter ton affirmation : « Dans les pays où il n’y a ni salaire minimum, ni revenu minimum, il y a un « lumpenprolétariat ».

Pouchki : Mais c’est ruineux de donner un revenu minimum à tout le monde !

Toju : Non, ce n’est pas ruineux ; le revenu minimum est distribué au petit nombre, à des cas d’exception, pour peu que le mécanisme de répartition du travail soit bien bâti.
Le revenu minimum est un filet de sécurité bien plus solide que le salaire minimum. Et au moins, personne n’est exclu.

Pouchki : Alors là, je rigole bien ; tu es tombé dans un piège ! Si l’on distribue un revenu minimum au dessus de la simple « subsistance », il y a une partie des bénéficiaires qui vont faire le choix de l’oisiveté. D’autant plus que s’ils reprennent le travail, ils perdront le bénéfice de leur revenu minimum.

Toju : Oui Pouchki ; je connais ce phénomène. C’est ce que l’on appelle la « trappe à pauvreté ». L’oisiveté devient dans certains cas préférable au travail parce que, ce que l’on appelle les « aides sociales » se sont développées dans tous les sens et dans un désordre indescriptible. Les « aides », qui se transforment en incitation financière à l’oisiveté, se présentent sous la forme de multiples allocations des collectivités locales ou de l’Etat, et sous forme aussi de réductions sur des tarifs publics tels que les transports et les équipements sportifs.
Ajoutons aussi que, à revenu égal, l’un bénéficie d’un HLM et l’autre n’en bénéficie pas. Il y a une profonde injustice dans l’attribution de cet avantage en nature.

Pouchki : Oui, je reconnais que celui qui sait nager dans ce marais administratif des "aides sociales" peut vivre dans un logement HLM, se nourrir et s’habiller, avoir un équipement électroménager complet, et même compléter son revenu avec, de temps à autre, une activité non déclarée.

Toju : Bon, tu vois bien qu’à la lumière de notre discussion, nous approchons d’une solution.
Convenons que pour gagner en clarté et en justice, l’ensemble des aides est à rassembler dans une allocation unique. C’est ça que j’appelle le revenu minimum. D’ailleurs, cette allocation a commencé à apparaître avec le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé, avec le revenu minimum d’insertion (RMI) puis maintenant avec le revenu de solidarité active (RSA).

Le revenu de solidarité active part d’ailleurs du principe qu’il faut éliminer la « trappe à pauvreté » ; le RSA continue d’être attribué pour partie, alors que l’on recommence à travailler.

Pouchki : Alors, nous parlons pour rien depuis tout à l’heure ! La solution est déjà en place ; c’est le RSA !

Toju : Pas du tout, Pouchki. Tu sais bien que les parlottes inutiles n’ont rien pour me plaire. Le RSA part d’une vue lucide de la situation, certes, mais comme il a été accepté en vertu de considérations politiques de moyen terme, il est un ajout à un ensemble d’allocations existantes, sans clarification du marais des multiples "aides sociales".

Il reste toujours une prime au meilleur profiteur du système. En parallèle, dans le système actuel, on maintient le salaire minimum. Et pour réduire l'effet de seuil infranchissable du salaire minimum, on réduit les charges sur les bas salaires pour abaisser le coût du travail et permettre aux employeurs d’embaucher avec une valeur ajoutée produite moins forte. En fait, on maintien la marche d'accès, mais on l'abaisse artificiellement, en permettant aux entreprises les plus profiteuses de bénéficier de ces avantages produits par la bureaucratie.

Pouchki : Oui, on est d’accord. C’est la fameuse marche d’accès au travail que l'on abaisse par des aides publiques. Ce sont les entreprises les plus douées pour nager dans les méandres de la bureaucratie qui en profitent. Ces systèmes de réductions de charges sur les bas salaires se sont multipliés, et sont d'un coût croissant. Pour que l’employeur ait intérêt à embaucher, la valeur ajoutée produite doit être supérieure au coût du travail. Les réductions de charges baissent le coût du travail, en particulier à proximité du salaire minimum.

Toju : Oui, c’est ça. D’ailleurs, ce que je crois, c’est que l’on tourne autour de la solution sans jamais la mettre en œuvre de façon directe.

Pouchki : Là, tu deviens énigmatique. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Toju : Je veux dire que pour que le système fonctionne dans l’harmonie, chacun doit se réaliser selon sa propre nature.

Pouchki : Bon, là, tu fais exprès d’épaissir le mystère. Je n’y comprends plus rien !

Toju : Oui, je te taquine. Ce que je veux dire, c’est que l’employeur a vocation à dégager du bénéfice, et que la collectivité a vocation à assurer la sécurité des revenus. Chacun son rôle.
La solution qui consiste à subventionner des bas salaires par des exonérations de charges mélange les rôles et incite à employer des salariés et à les maintenir à des bas salaires. Ce phénomène est d’autant plus fort, qu’il y a un salaire minimum en augmentation. Le résultat, c’est que le nombre de salariés qui ont le salaire minimum, est en augmentation constante.
On a créé artificiellement une masse d’emplois à salaire égal, et toute une catégorie de la population salariée est sans perspective d’évolution. Ils se meuvent dans une catégorie d’emplois suffisamment vaste en nombre pour changer de région, de métier, mais toujours au même salaire. Tu avoueras que c’est de nature à tuer l’espérance. Un salaire médiocre sans perspective d'évolution. Il y a de quoi être démotivé. Cette démotivation était d'ailleurs une caractéristique fondamentale des régimes socialistes avant la chute du mur de Berlin. Nous copions une partie de ce modèle.

Pouchki : « Tuer l’espérance », tu y vas fort, mais c’est vrai en tout cas qu’il y a une masse de salariés qui est bloquée dans une catégorie dont il lui sera difficile de sortir ; à quoi, il faut ajouter le développement de l’intérim et du temps partiel, qui sont des statuts - pour l’essentiel - à faible revenu.

Toju : Le tableau général de la situation est au fond assez déséquilibré. D'une part, on demande à l’employeur d’assurer un rôle de solidarité collective en le subventionnant et en lui imposant un revenu minimum. Comme ce n’est pas sa nature, on génère des effets pervers, comme par exemple donner l'avantage aux entreprises qui savent utiliser les failles de la bureaucratie, ou bloquer l'accès à l'emploi pour les salariés qui ne produiraient pas une valeur ajoutée suffisante. D'autre part, on demande à la collectivité d’assurer la solidarité. Comme l’Administration est dirigée in fine par des politiques qui ont une vue de court terme, on accumule les dispositifs, puis on accumule les dispositifs destinés à remédier aux effets pervers des dispositifs précédents.

Pouchki : Ton résumé de la situation est violent, mais tellement vrai ! Il suffit d’enlever à l’employeur son rôle de solidarité. L'employeur reste dans son rôle de produire de la valeur et de dégager du bénéfice. Dans le même temps, redonnons une architecture saine aux dispositifs collectifs de sécurisation des revenus. Avec un revenu minimum universel, et une obligation de principe d'assurance chômage. Chacun est rétabli dans son rôle pour rétablir une organisation juste.

Toju : Oui, et pour échapper à la « trappe à pauvreté », le revenu minimum est maintenu pour tous, quel que soit l'âge, ce qui vient aussi en substitution des régimes d'allocation familiale. Le revenu minimum est attribué à tout le monde et inclus dans l’assiette de l’impôt sur le revenu.

Ainsi, si l’impôt sur le revenu dépasse le revenu minimum, l’impôt est recouvré ; mais si l’impôt est inférieur au revenu minimum, la différence est versée au crédit du contribuable.

Dans cette façon de calculer l'impôt, comme le revenu minimum sert d'amortisseur pour les revenus les plus faibles, on appliquera un impôt proportionnel. C'est l'abolition de l'impôt confiscatoire ! Avec cet impôt proportionnel, la tentation de franchir la Manche ou l'Atlantique est alors ramenée à sa portion congrue. D'ailleurs, soyons justes, le niveau le plus efficient de rétablissement d'un fonctionnement sain est le niveau européen. Ce corps de doctrine est de nature à être adopté au niveau européen pour éliminer les distorsions fiscales.

Pouchki : Et de façon concomitante, on supprime les tarifs spéciaux de train, de cantine scolaire, d'accès aux équipements sportifs, etc., qui sont parfois humiliants et l’on unifie les allocations sous un seul versement, y compris les allocation familiales.

Toju : Je crois que l'inertie est telle dans chacun des Etats composant l'Europe, que le rééquilibrage aura pour source une impulsion européenne. Oui, Pouchki, nous tenons bientôt là les clés du rééquilibrage du système.

Pouchi : Pourquoi "bientôt"? Ne sommes nous pas arrivés à l'objectif ?

Toju : Non, il y a une faille. Si l'on donne un revenu minimum à égalité pour tous quel que soit l'âge, on aura un mal fou à trouver l'équilibre financier.

Pouchki : Mais pourquoi cette nouvelle inquiétude ?

Toju : Un adulte isolé a besoin de plus de ressources qu'un enfant dans une famille de trois enfants, qui vit sous le même toit que ses parents, et mange à la même table. Le foyer de cet enfant bénéficie pourtant d'un revenu minimum compté per capita, d'après ce que nous disons depuis tout à l'heure. En plus de cela, remarquons que la principale dépense publique aujourd'hui est la dépense d'éducation. Les familles avec des enfants en âge d'être scolarisé, en plus du revenu minimum per capita, bénéficient des impôts des autres pour financer leur éducation. Dans ces conditions, on ne trouvera pas le point d'équilibre du système, puisqu'il est déséquilibré au profit des familles avec de nombreux enfants.

Pouchki : Mais c'est très bien, les familles nombreuses, Toju, et puis les enfants que l'on éduque aujourd'hui sont les payeurs d'impôt de demain !

Toju : D'abord, financièrement c'est utopique, et ensuite il y a un sujet plus profond. Est-ce à la collectivité de décider si c'est bien ou pas d'avoir de nombreux enfants. Est-ce que l'Etat doit rentrer dans le lit conjugal ? Non, là encore, plus l'on respectera le rôle de chacun selon sa nature, plus l'on retrouvera une situation juste.

Pouchki : Là, c'est à moi de te sortir de ta perplexité. Si nous mettons en place le "chèque scolaire" dans même temps, l'ensemble de l'architecture trouve son équilibre. Le "chèque scolaire" est bien sûr à compter comme étant un acompte sur ce revenu minimum. Je te rappelle que le chèque éducation est une somme qui est attribuée à chaque élève ou étudiant : cette somme est versée à l'établissement auquel s'inscrit l'élève ou l'étudiant. Les frais de fonctionnement et les salaires des enseignants sont alors financés par ce moyen. Seuls la construction et l'achat des bâtiments sont financés par décision de la collectivité. Avec le chèque éducation, les parents recherchent alors les établissements qui utilisent le mieux les fonds publics. Et comme chacun a un chèque d'un même montant, l'égalité des chances est rétablie. Pour l'harmonie de l'ensemble, les programmes scolaires et l'évaluation des résultats demeurent nationaux.

Toju : Bien sûr, Pouchki, ton point de vue sur le chèque éducation me permet maintenant de voir l'édifice dans sa totalité. Merci. Magnifique. Je vois qu’après une longue maturation, nous progressons avec efficacité. Nous avons maintenant les clés pour supprimer le marais administratif des allocations, pour garantir un revenu minimum sans incitation à l’oisiveté, pour financer le système scolaire, et pour redonner accès au marché du travail à ceux qui en étaient exclus.

Pouchki : Soyons tenaces Toju. Soyons tenaces. Il y aura beaucoup de résistances contre le rétablissement d’une situation saine et équilibrée.

Toju : D’accord, mais comme la multitude est dans le brouillard, le seul qui fixe un cap clair est suivi tôt ou tard. En plus de la ténacité, nous devons cultiver la patience.

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