Le « marché » est le bouc émissaire des crises.
Pourtant, ce n’est pas le marché qui a créé les subprimes. Le
système des subprimes
a été institué en 1938 par l’Etat fédéral américain, mis sous tutelle du Département du logement en 1992, garanti par un vote
du Sénat le 26 juillet 2008, et mis sous contrôle
direct du gouvernement fédéral en septembre 2008.
En 2011, ce n’est pas non plus le marché qui génère la crise
des dettes. Ce sont les collectivités publiques qui ont dépensé
plus que leurs recettes, prétendant que pour améliorer l’économie il
fallait prélever de l’argent privé pour faire des dépenses publiques.
Dans ces deux cas, les intrusions du politique dans la
sphère économique sont inopportunes si l’on en juge par le résultat.
L’ « indignation » contre Wall Street se
trompe donc de cible. Ce n’est pas parce que la crise se manifeste sur les
marchés qu’elle est le fruit des mécanismes de marché. Les marchés ne doivent
pas pour autant être enveloppés du manteau de l’innocence. Ils ont leurs
propres vices.
Voilà pour l’actualité.
Mais si nous prenions un moment pour rechercher dans les
racines de l’Histoire ce qui nous mène à la confusion actuelle entre le
politique et l’économique ?
Creusons.
Remarquons d’abord que dans les sociétés traditionnelles, la
confusion entre le politique et l’économique est inexistante. Dans une société
traditionnelle, il y a une séparation entre les fonctions de maintien de l’ordre temporel (police,
justice, législation, armée), et les fonctions de commerce :
- En Inde, c’est la distinction entre les
« kshatriyas » qui assurent l’ordre temporel, et les
« vaishas » qui réalisent les fonctions de commerce.
- Sous l’Ancien Régime, l’ordre temporel et le commerce sont
les fonctions respectives de la noblesse et du tiers état.
- En Suède, cette distinction de l’ordre temporel et du
commerce était reflétée jusqu’en 1866 dans l’existence de quatre chambres
parlementaires, dont deux étaient dévolues à ces deux fonctions respectives. Ce
système a duré mille ans.
- A Bali, cette
distinction s’opère entre les « basias » et les « wesias »,
et demeure en vigueur.
Si la distinction des fonctions d’ordre temporel et de
commerce est à ce point universelle, est-ce le seul fruit de la
coïncidence ? N’y a-t ’il pas quelque juste principe à y trouver ?
D’ailleurs, on peut aller plus loin : la destruction des
structures traditionnelles qui distinguaient les différentes fonctions n’a-t-elle pas pour effet de laisser l’individu seul
face à la brutalité des mécanismes quantitatifs du marché ? Les
corporations de métiers et les structures familiales n’étaient-elles pas de
confortables protections ? Enfin, l’Etat est-il vraiment capable de
suppléer à cette dimension qualitative qui a été écrasée par la modernité ?
Aujourd’hui, l’individu est face à un marché qui génère des
effets d’éviction brutale. Le marché se fonde sur la seule valeur quantitative
de l’échange, c’est pourquoi il est par nature dans l’incapacité de prendre en
compte la dimension qualitative et supérieure de l’être humain.
Par exemple, un employeur préfère embaucher un salarié très
productif pendant soixante heures, et laisser au chômage deux autres salariés
moins productifs, plutôt que d’employer ces trois salariés pour une durée de
vingt heures chacun. Le marché se désintéresse des deux salariés évincés. Il
est tangible que par ce mécanisme le marché génère le chômage.
De plus, l’augmentation immodérée des dépenses publiques
montre son impuissance à panser les plaies car l’intervention publique telle
qu’elle est pratiquée remplace une quantité par une autre quantité.
En revanche, je crois que le politique, à condition qu’il
soit placé hiérarchiquement au-dessus du marché, et donc qu’il évite de se
fourvoyer dans des interventions quantitatives, a la capacité d’imposer une
règle générale en faisant par exemple supporter à l’employeur une cotisation
chômage proportionnelle au temps de travail.
Ainsi, dans cet exemple précis, le politique fixe une règle
générale pour internaliser le coût du chômage, et le faire rentrer dans les
calculs d’équilibres économiques faits par les employeurs.
En matière de finance, un pouvoir politique placé au-dessus des marchés a la capacité d'éviter le gonflement disproportionné de la sphère financière en faisant supporter aux banques un taux directeur proportionnel au rapport entre les fonds propres et les engagements : la banque doit payer le risque qu'elle fait encourir au système.
En matière de finance, un pouvoir politique placé au-dessus des marchés a la capacité d'éviter le gonflement disproportionné de la sphère financière en faisant supporter aux banques un taux directeur proportionnel au rapport entre les fonds propres et les engagements : la banque doit payer le risque qu'elle fait encourir au système.
Dans ces deux exemples, développés par ailleurs dans ce blog, le politique fixe une règle générale et la fait
appliquer : l’ordre temporel s’impose à l’économique sans se confondre avec
lui.
L'application de ce principe contre les excès de la finance est développée ici.
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